Carester, start-up de l’année 2025, reprend la main sur les terres rares
Contexte stratégique : les terres rares, enjeu de souveraineté
Les terres rares sont devenues un élément central des technologies de demain : aimants permanents, moteurs électriques, éoliennes, électronique, robotique, défense… Mais leur extraction, raffinage et séparation restent très concentrés géopolitiquement. La Chine domine largement le marché mondial des terres rares, notamment des terres rares lourdes comme le dysprosium et le terbium, qui sont essentielles pour améliorer la résistance des aimants à haute température.
Dans ce contexte, l’Europe et la France cherchent à structurer leur propre chaîne de valeur, pour réduire leur dépendance aux importations et mieux maîtriser les technologies critiques.
C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit Carester. Reconnue « start-up de l’année 2025 » par L’Usine Nouvelle, l’entreprise affirme aujourd’hui son ambition de reprendre la main sur les terres rares en France et en Europe.
Ce que révèle le classement « start-up de l’année 2025 »
Recevoir le titre de start-up de l’année 2025 dans le cadre des trophées des industriels de L’Usine Nouvelle n’est pas anodin : c’est une reconnaissance forte dans le milieu industriel français. Cela donne à Carester une visibilité accrue, légitime son positionnement et favorise les partenariats publics-privés ainsi que les soutiens financiers.
Ce prix souligne également que la souveraineté industrielle – particulièrement dans la filière des matières critiques – est un sujet structurant pour l’économie française et européenne. Le fait que soit saluée une jeune entreprise dans ce domaine montre que l’innovation « de rupture » peut être un levier de rééquilibrage technologique et industriel.
Mais au-delà de l’honneur, c’est surtout la matérialisation d’un projet industriel ambitieux qui mérite d’être analysée.
Carester / Caremag : vers une usine de terres rares en France
Origines, positionnement et expertise
Fondée en 2019 à Lyon par Frédéric Carencotte et une équipe d’experts en terres rares, Carester a d’abord opéré comme bureau d’études / conseil spécialisé dans les procédés de séparation, d’optimisation et de recyclage de terres rares. Son équipe cumule plus de 250 années d’expérience dans le secteur.
L’idée de monter un projet industriel est née du constat suivant : l’Europe dispose d’un gisement latent de matières premières dans les matériaux en fin de vie – notamment les aimants. En combinant recyclage et raffinage de concentrés miniers, Carester vise à créer une filière intégrée, durable et compétitive.
Caremag : la filiale industrielle
Le projet principal de Carester est Caremag, future usine de recyclage et de raffinage de terres rares située à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques (site industriel IndusLacq). Le choix de ce site n’est pas anodin : c’est une zone industrielle historiquement liée à la chimie et aux activités de transformation, disposant d’une main-d’œuvre qualifiée et d’une acceptabilité locale favorable.
Lors de la cérémonie du 17 mars 2025, la première pierre de l’usine a été posée, dans un contexte de mobilisation d’investissements significatifs (216 millions d’euros) associés à des partenariats français et japonais. Le site est prévu pour entrer en service fin 2026.
Capacités et caractéristiques
Une fois pleinement opérationnelle, l’usine Caremag ambitionne de :
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recycler 2 000 tonnes d’aimants en fin de vie par an ;
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raffiner 5 000 tonnes de concentrés miniers par an ;
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produire environ 600 tonnes d’oxydes de dysprosium (Dy) et terbium (Tb) — soit près de 15 % de la production mondiale actuelle de terres rares lourdes ;
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produire également environ 800 tonnes d’oxydes de néodyme (Nd) et praséodyme (Pr), des terres rares dites « légères » essentielles pour les aimants permanents.
L’usine vise un haut niveau de performance environnementale : limitation des émissions, réduction de la consommation d’eau, recyclage des co-produits, maîtrise de la radioactivité dans les minerais, suppression des effluents liquides, etc.
Enfin, le modèle économique est hybride : recyclage d’aimants + traitement de concentrés miniers, de façon à garantir une alimentation robuste tout en réduisant progressivement la dépendance aux importations.
Partenariats, financements et contrats stratégiques
Financements et soutien institutionnel
Le montage financier de Caremag repose sur un soutien mixte franco-japonais d’environ 216 millions d’euros. La France apporte environ 106 millions d’euros via subventions, avances remboursables et crédit d’impôt « industrie verte », dans le cadre des programmes France Relance et France 2030. Les partenaires japonais — notamment JOGMEC (Japan Organization for Metals and Energy Security) et la société Iwatani — injectent 110 millions d’euros via une coentreprise “Japan France Rare Earth”.
Ce montage traduit une convergence d’intérêts géostratégiques : l’Europe veut sécuriser ses matériaux critiques, et le Japon veut diversifier ses sources en dehors de la Chine.
Contrats d’approvisionnement et d’offtake
Carester a déjà signé des engagements importants avec des acteurs industriels. Par exemple, un contrat de fourniture avec le groupe automobile Stellantis porte sur plus de 3 400 tonnes de terres rares (Nd, Pr, Dy, Tb) sur 10 ans, dont une part significative sera fournie via le recyclage.
Plus récemment, Carester a conclu un accord d’offtake de 10 ans avec la société BRE (Brazilian Rare Earths Limited), pour l’achat de concentrés de terres rares lourdes (Dy, Tb) jusqu’à 150 tonnes par an. En parallèle, Carester fournira des services d’ingénierie, de design et de commissioning pour l’usine de séparation prévue de la société BRE. Ce partenariat s’inscrit dans la dynamique d’intégration de la chaîne de valeur mondiale des terres rares : produire au Brésil, séparer en France, fournir les clients internationaux.
Ces accords renforcent l’attractivité de Caremag et assurent un débouché à moyen et long terme pour les produits raffinés.
Enjeux, défis et opportunités
Enjeux industriels et géopolitiques
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Souveraineté industrielle : Carester et Caremag participent à la construction d’une filière européenne de terres rares, un levier d’autonomie technologique face à la domination chinoise.
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Transition énergétique : les aimants aux terres rares sont au cœur des technologies d’électrification (voitures électriques, éoliennes). Relocaliser leur production permet de sécuriser ces chaînes critiques.
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Économie circulaire : l’approche recyclage + minéral permet de valoriser les matériaux en fin de vie et de réduire l’impact environnemental global.
Défis à relever
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Complexité technologique : la séparation des terres rares lourdes (Dy, Tb) est plus difficile que pour les terres rares légères, notamment à grande échelle.
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Alimentation en matières premières : pour atteindre ses objectifs, Caremag devra assurer un flux constant de concentrés et de matériaux recyclés.
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Compétition internationale : d’autres projets émergent dans le monde (États-Unis, Australie), avec des soutiens publics massifs.
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Risques environnementaux et de réglementation : la gestion de la radioactivité, des effluents, des co-produits sera scrutée.
Opportunités majeures
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Position de leader occidental : une fois en fonctionnement, Caremag pourrait représenter jusqu’à 15 % de la production mondiale de terres rares lourdes, devenant un acteur clé hors Chine.
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Effet levier industriel : la relocalisation de cette activité peut attirer d’autres filières (fabrication d’aimants, moteurs, composants) autour de la zone.
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Ressorts stratégiques de coopération : les partenariats internationaux (Japon, Brésil) ouvrent des perspectives de synergies globales.
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Engagements ESG valorisants : la dimension circulaire et responsable du projet est un argument fort dans les appels d’offres publics ou les marchés sensibles.
Pourquoi cet évènement est « une prise de main » sur les terres rares
C’est le signe que l’Europe, via une start-up ambitieuse, tente de renverser la donne d’un marché longtemps dominé par un acteur unique (la Chine). Grâce à :
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une reconnaissance publique (le prix start-up de l’année)
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des investissements lourds et structurés
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des partenariats industriels forts
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des technologies de pointe et une stratégie industrielle intégrée
Carester sort du statut de pure start-up conseil pour devenir un opérateur industriel à part entière. En réussissant, elle pourrait repositionner la France et l’Europe dans les chaînes de valeur des technologies de haute performance.
Perspectives pour l’avenir
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Lancement opérationnel : si tout se passe comme prévu, le site Caremag devrait démarrer ses activités fin 2026.
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Montée en capacité progressive : la phase initiale permettra de tester les procédés et d’ajuster les flux.
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Extension géographique : des collaborations avec d’autres pays producteurs ou recycleurs pourraient émerger.
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Effet catalyseur : ce succès pourrait stimuler d’autres projets européens dans les matériaux critiques.
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Visibilité politique : le soutien public devra durer pour assurer la pérennité (subventions, réglementation, filières associées).
En conclusion
Cette actualité marque un tournant dans la course aux matériaux critiques. Plus qu’un prix, c’est la visibilité d’un projet industriel de long terme – Caremag – qui tente de bâtir une souveraineté européenne dans le domaine des terres rares. Face à des défis technologiques et concurrentiels, Carester bénéficie d’un socle solide : expertise industrielle, financement structuré, partenariats stratégiques. Si elle parvient à atteindre ses ambitions, la France pourrait devenir un acteur majeur dans la nouvelle ère des matières premières pour la transition énergétique — relançant, au passage, la fierté d’une industrie capable d’innovation et de résilience.